Dans sa livrée Orange lave, la Porsche 911 Turbo s’attire quelques regards étonnés. Ici, à Juf, dans la vallée d’Avers, village le plus haut de Suisse habité toute l’année, il est plutôt rare de voir une voiture de sport pur-sang en plein hiver. Les températures sont bien en dessous de zéro, la glace et la neige recouvrent les routes et les chemins. À part nous, ne circulent guère ici que des tout-terrains à transmission intégrale, à la rigueur quelques fourgonnettes ou des breaks, équipés pour la plupart de chaînes à neige.
Malgré cela, ou peut-être justement pour cela, c’est l’endroit dans lequel nous avons choisi de nous aventurer en 911. Après tout, la Turbo a une réputation unique dans le monde des voitures de sport : ce n’est pas seulement une adversaire redoutée sur les circuits, une concurrente quasi imbattable dans les courses de sprint, c’est aussi, et surtout, la voiture assurément la plus adaptée à un usage quotidien dans sa catégorie de performance. Et si nous entreprenons ce bref voyage, c’est aussi pour prouver que ce n’est pas seulement vrai en été.
La boîte PDK à huit rapports sort le six cylindres de sa plage de régime la plus basse.
Pour commencer, la douzième Turbo de l’histoire de la 911 doit prouver ses talents de routière sur l’autoroute : en mode de conduite « Normal », notre bolide high-tech se comporte déjà comme une « voiture tout à fait normale ». On en oublierait presque qu’elle avale le 0 à 100 km/h en 2,8 secondes et que sa vitesse de pointe s’élève à 320 km/h, tout du moins jusqu’à ce que le bouton rotatif du volant passe en mode « Sport » ou « Sport Plus ». Car alors, le fauve se réveille vraiment, la boîte à huit rapports Porsche Doppelkupplung sort le six cylindres de sa plage de régime la plus basse et les deux turbocompresseurs à géométrie variable mettent le moteur de 3,8 litres sous pression, de manière ciblée.
Nous sentons notre 911 prête à bondir à tout instant, tandis qu’à la sortie Roffla (Grisons), l’essuie-glace commence déjà à balayer les premiers flocons du pare-brise et nous préférons rester prudents. Cela dit, même par fortes chutes de neige et dans des conditions hivernales particulièrement rigoureuses, aucune crainte à avoir : la nouvelle Turbo est équipée de la transmission intégrale Porsche dernière génération, système qui incarne sur route un niveau de perfection issu de décennies d’expérience en matière de transmission intégrale.
Quand traction rime avec tradition
Dans le sport automobile, la technologie turbo mais aussi la transmission intégrale trouvent leurs origines chez Porsche. Et tout a commencé, non pas sur circuit, mais sur piste de rallye : en 1984, une 911 à transmission intégrale prend pour la première fois le départ du mythique rallye Paris-Dakar, et remporte le classement automobile. Fortement modifiée, la 911 était en quelque sorte un véhicule expérimental : son capot abritait déjà une grande partie des prouesses technologiques de la future 959, supersportive de route commercialisée à partir de 1987, après une nouvelle victoire remportée par Porsche au Paris-Dakar en 1986, avec la version de course. D’une puissance de 450 ch et atteignant une vitesse de pointe de 317 km/h, la version routière de la 959 était considérée comme la voiture de sport la plus rapide au monde et, techniquement, elle était très en avance sur son temps : son moteur Boxer de 2,85 litres bénéficiait d’une suralimentation à deux étages, d’où un déploiement de puissance spectaculaire. Par ailleurs, ce bolide, qui coûtait alors au moins 420 000 marks allemands, était équipé d’un système de contrôle de pression des pneus et d’un châssis à hauteur et dureté réglables. Aujourd’hui, tout cela paraît évident, mais à l’époque, c’était sensationnel.
La transmission intégrale de la 959 était elle aussi en avance sur son temps. En effet, au milieu des années 1980, la transmission 4x4 était presque exclusivement réservée aux véhicules tout-terrain. Généralement, il fallait l’activer manuellement et elle fonctionnait presque toujours avec une distribution fixe de la force motrice. Sur terrain dur, c’était l’idéal, mais sur route, et surtout en conduite sportive, c’était vraiment gênant. Une transmission intégrale rigide assure un excellent grip en ligne droite, mais elle rechigne franchement dans les virages. Porsche a trouvé la solution avec la version variable de la 959 : l’essieu arrière reste entraîné en permanence, mais les roues avant sont reliées à la transmission par un embrayage fonctionnant dans un bain d’huile. Le système de commande analyse la vitesse de rotation des roues, l’angle de direction, le régime du moteur et le patinage, et peut ainsi adapter en permanence la distribution de la force motrice à chaque situation de conduite. L’essieu avant n’est donc entraîné que si nécessaire. Le reste du temps, il peut se concentrer pleinement sur la direction. Ce principe, lui aussi, était sensationnel en 1986, et il n’a guère changé depuis.
Une puissance maîtrisée
À partir de Roffla, la route principale conduit dans la vallée d’Avers. Une grande route au parcours très varié, qui monte constamment et dont les rayons de virage changent sans cesse, encadrée par des parois rocheuses abruptes et un paysage de forêts impressionnant. Puis vient ce tunnel, tout aussi impressionnant, percé directement dans la roche nue le long du parcours, qui enregistre à merveille toute la richesse du moteur Boxer biturbo. On en sort, et un silence impressionnant s’installe soudain. Plus l’altitude augmente, plus la chaussée se couvre de neige, jusqu’à ce que les pneus roulent presque sans faire de bruit sur ce splendide manteau blanc.
Dans la partie supérieure de la vallée d’Avers, les routes ne sont pas dégagées. Pourtant, dans la 911 Turbo, aucune crainte à avoir, toute cette neige n’est qu’une intéressante extension du plaisir de conduire, et s’il en est ainsi, c’est bien parce que l’interaction entre le conducteur et la voiture est la clé de tout. De fait, quand on est au volant, le travail complexe du système de gestion électronique, qui adapte constamment le véhicule aux conditions de conduite en intervenant sur les freins et sur la répartition de la force motrice n’est pas directement perceptible. La conjugaison des nombreux paramètres en une unité hautement fonctionnelle est trop harmonieuse pour qu’on s’en rende compte. Freiner, tourner et accélérer en sortie de virage d’une légère pression sur l’accélérateur. Tout cela est un jeu d’enfant, la puissance est sous contrôle. Même si le moteur ne peut délivrer qu’une fraction de sa puissance, il le fait en douceur et en la maîtrisant savamment.
Tout au fond de vallée de l’Avers, on finit par atteindre le petit hameau de Juf. Une trentaine de personnes vivent ici à l’année, à 2 126 mètres d’altitude. Hormis quelques maisons, il n’y a que quelques résidences de vacances, une auberge, un bureau de poste, un dortoir pour touristes et une place de manœuvres, car la route cantonale se termine ici. En hiver, Juf sert surtout de point de départ pour les randonneurs à ski. Pas de cinéma, pas de bars, pas de médecin ni de police. Même pas une remontée mécanique. Quand on vient ici, c’est pour jouir de la nature et du silence, et ralentir.
Le fond de la vallée
Sous l’épais manteau de neige, les maisons de bois aux toits d’ardoise bravent les rigueurs de l’hiver. Les habitants vivent principalement du microtourisme et de l’agriculture. Pendant longtemps, l’élevage de moutons a constitué une source de revenus doublement importante, car les hivers sont glacials, et ils durent aussi jusqu’à six mois. Au-dessus de la limite des arbres, pas de bois pour se chauffer, on pressait donc du fumier de mouton en cubes, qu’on laissait sécher sous le toit pendant deux ans avant de pouvoir utiliser les briquettes pour les brûler. Cette pratique subsiste aujourd’hui en certains endroits. Même si tout semble tourner un peu autrement ici, la 911 Turbo se déplace dans le village hivernal avec le même naturel que sur un circuit de course, sur une route de col sinueuse et ensoleillée ou dans la grande ville. Même les pentes parfois raides qui mènent aux maisons de Juf, guère plus que d’étroits chemins en été, ne posent aucun problème à cette voiture de 2x2 places, malgré une garde au sol limitée.
Ici, l’empattement court et les porte-à-faux serrés s’avèrent d’un précieux secours. Cette voiture est donc véritablement une exception parmi les voitures de sport. Tel un caméléon, elle s’adapte à toutes les circonstances. Et, notoirement, elle est une compagne idéale même pour les vacances de ski. Car si elle est capable d’atteindre la localité la plus haute d’Europe, dans des conditions hivernales extrêmes, a fortiori des domaines skiables autrement plus étendus ne devraient lui causer aucun problème. D’ailleurs, on peut même installer une malle sur son toit pour transporter tout l’équipement de ski nécessaire. Moralité, la 911 Turbo n’a pas besoin de patienter tout l’hiver dans son garage pour montrer ce dont elle est capable. D’ailleurs, quand on connaît bien cette supersportive, pas vraiment de quoi être surpris.
Info
Texte paru pour la première fois dans le magazine Porsche Christophorus, n° 401.
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