Les mille et une vies

Porsche en France – Rencontre avec Valérie Chiasson : pilote en GT3 Cup, Nascar et voitures de tourisme, championne d’équitation, chef d’entreprises, Valérie Chiasson ne vit pas un conte de fées mais a déjà eu, à seulement 35 ans, 1 001 vies. Avec un point commun entre elles : un engagement sans faille.

   

Être la première femme de l’histoire, toutes catégories confondues, à faire un podium sur le circuit Gilles Villeneuve de Montréal résume à la fois parfaitement et partiellement Valérie Chiasson. Parfaitement, car l’exploit est à la hauteur du talent et de la détermination de cette jeune femme de 35 ans. Partiellement, car en plus d’avoir enchaîné les faits d’armes en sport automobile, Valérie concourt dans les plus prestigieuses compétitions équestres de dressage avec, en ligne de mire, les Jeux Olympiques de 2028. Une carrière de haut niveau dans le sport automobile et dans l’équitation, c’est déjà beaucoup pour une seule personne. Faut-il, dès lors, ajouter qu’elle a également la fibre entrepreneuriale chevillée au corps avec la création de quatre entreprises couronnées de succès ? Surhumaine, Valérie Chiasson ? Non, elle est même humaine avant tout…

L’histoire de Valérie commence comme celle de beaucoup de petites filles, par une passion pour les chevaux. Mais rapidement la jeune québécoise va se distinguer par sa témérité et ses prédispositions pour les activités sportives. Dès 7 ans, elle monte des chevaux quand les filles de son âge font leurs premières expériences sur des poneys. À 12 ans, elle remporte son premier grand championnat junior au Québec… mais déjà le virus des sports mécaniques l’a touchée. « Une fille qui faisait de l’équitation avec moi était la sœur d’un champion canadien de karting. Je me suis dit que ça avait l’air chouette. J'étais déjà très sûre de moi à l'époque et j’aimais les sports mixtes où filles et garçons se battent à armes égales. » À 13 ans, Valérie se détourne de l’équitation et vend ses chevaux pour financer ses saisons en karting. Les résultats ne tardent pas à arriver, ce qui lui permet de décrocher des sponsors, indispensables pour continuer à courir.

Toujours en selle :

Toujours en selle :

Que ce soit lors de sa carrière de pilote ou dans sa préparation aux Jeux Olympiques, c’est avant tout une détermination sans faille qui permet à Valérie de triompher des épreuves.
Décalage horaire :

Décalage horaire :

Après avoir chassé les secondes sur circuit, Valérie s’investit dans le temps long avec ses chevaux : le dressage demande plus de 10 ans.

Du kart, la jeune pilote passe au championnat canadien de voitures de tourisme (CTCC) avant de se lancer dans la Nascar. « À cette époque, les courses sur ovale étaient très à la mode. Elles attiraient le public, les pilotes et les sponsors. C’est Jean-Paul Cabana, une légende du stock-car, qui est venu me chercher. Je me suis dit : pourquoi pas ? » À peine 20 ans et Valérie se jette dans les jeux du cirque modernes qu’est le stock-car. « C’est une ambiance très particulière. Il y a beaucoup de spectateurs et tout est fait pour créer du spectacle, jusqu’à provoquer des accidents. Moi ça ne m’intéresse pas, ce que j’aime c’est piloter avant tout. L’état d’esprit est en plus très misogyne et il n’y a pas le fair-play que l’on trouve dans les courses sur circuit, où l’agressivité est sur la piste mais en dehors il y a du respect. En Nascar, le pire était en dehors de la piste... » Trois ans lui ont suffi avant de revenir en voiture de tourisme puis en championnat monotype Nissan Micra. C’est dans cette compétition qu’elle va marquer l’histoire.

Jamais, avant elle, une femme n’était montée sur le podium du circuit Gilles Villeneuve. « À aucun moment je n’avais imaginé, un jour, faire un podium sur ce circuit mythique. Je voulais simplement vivre ma passion du pilotage. C’était probablement un des plus beaux jours de ma vie, la consécration après 13 ans d’engagement total dans le sport auto ». À cette époque, le sponsor qui l’accompagne sur la coupe Nissan Micra représente plusieurs concessions, et fait aussi courir une voiture en Porsche GT3 Cup Canada qu’il propose à Valérie. « C’est une compétition que j’ai adorée. D’abord parce qu’on a tous les mêmes voitures, ce qui permet de faire la différence sur le pilotage. Ensuite parce que les GT3 Cup sont des vraies voitures de course. » Portée par les succès, Valérie court à la fois en coupe Nissan Micra et en GT3 Cup. En 2016, elle est nommée, par la FIA, représentante de Women in Motorsport pour le Canada, une commission qui agit pour l’intégration des femmes dans la discipline, quel que soit leur métier. L’année suivante, Valérie court en Europe, en Carrera Cup Benelux. C’est alors que sa vie va basculer.

« Le dressage est plus dangereux que le pilotage. »

Valérie CHIASSON
Mondes parallèles :

Mondes parallèles :

Concentration, forme physique, entrainement… il y a beaucoup de points communs entre l’équitation et le pilotage. Mais, contrairement à la sportive, le cheval reste imprévisible.

« Ça n’a même pas été le plus gros accident de ma carrière mais mon casque a cogné au mauvais endroit sur l’arceau de sécurité. Le choc m’a déplacé la mâchoire, ce qui a touché l’oreille interne mais les médecins ont mis des mois à le comprendre ». Combative, Valérie persiste dans la compétition en dépit des conséquences du choc. Mais sa détermination ne suffit pas et à chaque fois qu’elle monte dans sa voiture, elle est malade à en vomir et n’a plus la même force à droite et à gauche. Le déséquilibre créé par son oreille interne défaillante perturbe bientôt le fonctionnement de ses organes et déclenche une ascite, une accumulation d’eau dans l’abdomen. Sa guérison va demander 18 mois pendant lesquels elle enchaîne les examens et porte un appareil spécial pour sa mâchoire. « Lors de mes dernières courses, je ne me sentais plus au top et j’avais déjà 28 ans. Je m’étais promis que quand j’arrêterai la course, je reviendrai vers les chevaux en dressage, plus sérieusement ». Et quand Valérie dit « plus sérieusement », cela veut dire viser les Jeux Olympiques !

L’ex-pilote va trouver dans l’équitation plus qu’un défi à relever ou une passion à assouvir. Elle va y trouver un moyen de guérir. « L’équitation demande une excellente condition physique et un équilibre parfait. J’ai commencé par remonter un de mes plus vieux chevaux, Van Go, et c’est lui qui m’a beaucoup aidée dans ma guérison. » Elle s’oriente vers le dressage car après avoir chassé la moindre seconde devant les chronos, elle aspire à un travail où le temps n’a plus de prise. « Le dressage commence à 3 ou 4 ans et le cheval n’atteint son plus haut niveau qu’entre 15 et 17 ans. C’est une discipline très physique pour le cheval comme pour le cavalier. C’est ce qui est compliqué car le but est justement que tout ait l’air simple ! » Valérie travaille au quotidien avec quatre chevaux et son expérience de pilote lui sert dans sa nouvelle vie. « Les principaux points communs sont la concentration et la précision. Dans ces deux disciplines, le moindre manque de concentration ou le moindre écart t’amène à la faute. C’est aussi, dans les deux cas, un travail d’équipe. Seul, tu ne peux pas y arriver. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, pour moi l’équitation est un sport plus dangereux que la course automobile ! C’est aussi parce que j’aime les chevaux fougueux. 

Sur tous les fronts :

Sur tous les fronts :

Passionnnée de pilotage et d'équitation, Valérie est également une « serial » entrepreneuse. Elle vient de se lancer dans les selles sur-mesure avec succès… pour changer !

Entre l’équitation et le sport auto, une troisième passion fait avancer Valérie : l’entrepreneuriat. À 19 ans, elle monte sa première entreprise comme monitrice de pilotage pour les clients des marques automobiles, avant de devenir formatrice dans les nouvelles technologies. Elle travaille ensuite pour les concessions, en repensant les process d’accueil des clients. « À l’époque, j’ai inventé un système multimédia qui permettait, depuis un iPad, de faire fonctionner tous les équipements de la voiture grâce à une batterie. Cela offrait au client une nouvelle expérience, avec la possibilité d’essayer toutes les fonctionnalités dans la concession. J’étais la première à faire ça, j’ai fait breveter mon invention. Je l’ai ensuite vendue à un constructeur pour le Salon automobile de Genève pendant 2 ans. »

À armes égales :

À armes égales :

En GT3 Cup, la différence se fait uniquement sur le pilotage. Se battre à armes égales avec les hommes, c'est ce qui a toujours plu à Valérie.

Comme dans beaucoup de domaines, le Covid met un coup d’arrêt aux événements automobiles. Valérie y voit une opportunité de concrétiser une autre de ses idées : faire des selles sur mesure.

Ses expériences dans l’équitation et le business vont lui permettre de choisir le bon produit, sur un créneau de marché inoccupé. « J’ai testé beaucoup de selles, je me suis formée et j’ai lancé la commercialisation d’une selle inventée aux États-Unis et fabriquée en Grande Bretagne. Il y a beaucoup d’innovation sur les matériaux et le dessin. On a un atelier mobile qui permet d’ajuster la selle sur place. Je m’occupe également de la distribution dans 5 pays d’Europe. » Inutile de demander à Valérie si elle compte lever le pied un jour, ça n’est pas dans sa nature. « Je sais déjà ce que je vais faire jusqu’à mes 70 ans ! La prochaine chose que j’aimerais accomplir, c’est transmettre aux jeunes le goût d’entreprendre. Surtout ici, en Europe, où l’état d’esprit n’est pas le même qu’aux États-Unis. Il faut savoir comment fonctionne une entreprise et croire en soi, en son idée et s’investir à fond. Alors, only the sky is the limit, comme disent les Anglo-Saxons. » 

Mathieu Chevalier
Mathieu Chevalier