Un train d’avance
Il y a plus de 40 ans, la Porsche 928 marquait les esprits par sa conception novatrice. Depuis, son essieu Weissach est passé à la postérité.
Porsche Panamera Turbo
Consommation de carburant en cycle mixte : 9,4–9,3 l/100 km
Émissions de CO2 (cycle mixte) : 214–212 g/km
Classe énergétique : D, Suisse : G (actualisation 2018)
1973 :
L’heure est aux voitures de conception nouvelle. Les modèles à moteur arrière semblent en bout de course. Chez Porsche, concepteurs et dirigeants s’en préoccupent. Si, neuf ans après sa première apparition, la 911 suscite toujours l’engouement auprès du public et si elle continue à rapporter beaucoup à l’entreprise, certains s’interrogent sur sa pérennité.
Évolution à rebondissements :
Avec la 928, Porsche a écrit une page de l’histoire de la technique automobile, notamment en matière de châssis. Aujourd’hui, le principe de base de l’essieu Weissach continue à s’appliquer sur toute la gamme.
À Zuffenhausen, des Cassandre affirment que la 911 est en fin de cycle. L’avenir ne leur donnera pas raison. Au Centre de développement de la marque, inauguré récemment à Weissach, les ingénieurs ne ménagent pas leur peine pour développer le modèle censé lui succéder : la 928. Pour la première fois, Porsche loge le moteur à l’avant, un V8 de 4,5 litres développant 240 ch. Pour une meilleure répartition des masses, la boîte de vitesses est quant à elle placée à l’arrière. La transmission est assurée par un arbre longitudinal logé dans un tube, relié au moteur par une liaison mécanique rigide : une architecture issue de la Porsche 924 et baptisée « Transaxle ».
La sécurité en ligne de mire
Weissach : le nom de cet essieu a une double signification. S’il rend bien sûr hommage au Centre de développement de la marque, c’est aussi un acronyme en langue allemande qui rappelle l’effet directionnel passif du train arrière. À l’époque, la tendance sur le marché automobile est aux performances sportives. Et avec l’amélioration de la qualité des pneus, les vitesses pouvant être atteintes en courbe sont toujours plus élevées. Le comportement au volant s’en ressent. Certains conducteurs en mal de sensations fortes flirtent avec leurs limites, parfois au péril de leur vie. Même certaines voitures familiales se voient affublées du qualificatif de « cercueils ambulants ». Quant aux sportives, elles ont la réputation d’être « viriles ». Pour pouvoir les maîtriser en courbe à vitesse élevée, il faut savoir contrebraquer. Aux États-Unis, le débat sur la sécurité automobile fait rage depuis la publication en 1965 de l’ouvrage Ces voitures qui tuent de Ralph Nader, qui deviendra par la suite une figure mondiale de la défense des consommateurs.
Les premiers prototypes de la 928 pâtissent d’une certaine instabilité directionnelle. En cause : l’angle d’ouverture de la roue arrière à l’extérieur du virage lié aux forces latérales en courbe. C’est comme si un individu marchait avec un pied orienté vers l’extérieur. Facteur aggravant : lorsque le conducteur lâche l’accélérateur, le centre d’inertie se déplace vers l’avant, réduisant l’adhérence à l’arrière. En outre, le couple résistant du moteur accroît encore l’angle d’ouverture à l’arrière. Ainsi, dans les virages à droite, la roue arrière gauche a tendance au « bâillement », provoquant un survirage à la décélération.
Avec l’essieu Weissach, la Porsche 928 n’est certes pas plus rapide en courbe, mais se montre beaucoup plus facile à maîtriser.
Les ingénieurs Porsche Hans-Hermann Braess et Gebhard Ruf s’attellent à la tâche. Ils se penchent sur de nouveaux concepts de train roulant et s’intéressent à l’élastocinématique, et notamment à la déformation mécanique des pièces en caoutchouc qui assurent la liaison entre le train roulant et la caisse. Leur hypothèse de travail est la suivante : il faut comprimer davantage l’élément de suspension à l’avant de l’essieu et faire en sorte que l’effet ainsi produit soit amplifié par une cinématique adaptée à la décélération. La roue extérieure du train arrière subirait alors un pincement qui permettrait de gagner en stabilité directionnelle. Plus facile à dire qu’à faire : « Dans la théorie, ce principe de physique appliquée était bien connu des spécialistes depuis les années 1950. Mais sa mise en application était autrement plus problématique », explique Manfred Harrer. « À l’époque, nous ne disposions pas des outils informatiques de simulation et de calcul permettant d’obtenir la variation de pincement voulue de la roue arrière extérieure. »
Un deuxième volant à l’arrière
Commence alors un laborieux travail de développement sous la houlette des ingénieurs maison : Wolfhelm Gorissen, Manfred Bantle et Helmut Flegl. Les méthodes originales de ce dernier ont de quoi étonner : il équipe une Opel Admiral des composantes du châssis de la future 928 et installe un deuxième volant à l’arrière. Lors des essais, Manfred Bantle conduit la voiture tandis que Walter Näher, futur ingénieur de course Porsche, simule la variation du pincement à l’arrière. Résultat : un léger angle de pincement suffit à stabiliser la voiture en courbe. En revanche, la manœuvre doit être exécutée en moins de 0,2 seconde pour obtenir l’effet escompté.
Un travail de précision qui finira par porter ses fruits : « Avec l’essieu Weissach, le comportement directionnel de la 928 est devenu bien plus sûr, et la tendance au survirage a disparu », se souvient Frank Lovis, alors pilote d’essai Porsche. « Elle n’était certes pas plus rapide en courbe, mais elle était bien plus facile à maîtriser pour un conducteur lambda. »
Manfred Harrer revient également sur l’importance de l’essieu Weissach : « Cette œuvre de pionnier a jeté les bases de la cinématique des trains roulants modernes. Au fil des années, les équipes Porsche n’ont cessé de le perfectionner. » Ainsi, lorsqu’elle fait son apparition sur la gamme 911, avec la Type 993, cette technologie montre sa parfaite maîtrise des forces longitudinales et latérales.
« Depuis, nous avons énormément progressé dans les matériaux utilisés », ajoute Manfred Harrer. Les liaisons élastiques sont désormais en élastomère. Les propriétés physiques de ce matériau permettent de fabriquer des pièces high-tech capables de maîtriser la déformation des liaisons élastiques et d’améliorer la qualité d’amortissement et le confort acoustique, tout au long de la durée de vie de la voiture.
2018 :
La technologie ne cesse d’évoluer. Avec le temps, le principe de l’essieu Weissach s’est adapté, sous des formes toujours plus compactes, aux nouveaux concepts de véhicule, qu’il s’agisse d’un SUV, avec le Cayenne et le Macan, d’une berline sportive, avec la Panamera, ou encore de la future sportive électrique. Les essieux se sont aussi accommodés des systèmes de réglage actif du châssis, et notamment des roues arrière directrices qui équipent la dernière génération de 911 pour lui offrir davantage de maniabilité et de stabilité. Enfin, ils ont su intégrer les systèmes de récupération d’énergie au freinage, pour lesquels Manfred Harrer promet « des évolutions dynamiques » dans un avenir proche. Les prochaines avancées technologiques se profilent déjà à l’horizon. À l’avenir, les châssis pourront partager par voie électronique des informations sur l’état de la route et prévenir, par exemple, de la présence d’une portion glissante dans un virage. Quant aux moteurs électriques, ils permettront de répartir le couple avec précision sur chaque roue pour améliorer la dynamique de conduite, une technologie appelée « Torque Vectoring ».
Mais toutes les avancées dans le domaine des systèmes électroniques de réglage actif du châssis ne changeront rien au principe de base : « Il faut veiller au juste équilibre des trains roulants pour assurer la stabilité de nos voitures. Grâce aux systèmes de simulation modernes, nous pouvons nous contenter désormais de ne tester que trois barres stabilisatrices, au lieu d’une vingtaine auparavant. »
Chez Porsche, la technique n’est pas tout. Pour la touche finale, rien ne vaut le ressenti et le retour d’expérience des pilotes d’essai.